Glauque
Vous pensez que « glauque » signifie quelque chose de sordide ou sinistre? Et si cela n'avait pas toujours été le cas? Découvrez l’histoire d’un mot qui en verra de toutes les couleurs…
Le grec
D’un bleu pâle
L'histoire de l'adjectif « glauque » est celle d'un étonnant glissement sémantique. Car si aujourd’hui glauque signifie quelque chose de sinistre ou sordide, il n’en a pas toujours été ainsi. De loin pas.
Le sens premier de « glauque » ne signifie nullement quelque chose de triste et sordide, mais a une tout autre signification. Glauque est issu du grec ancien γλαυκός [glaukos] désignant une teinte bleuâtre clair, voir vert pâle; il provient du nom du dieu grec Glaucos, une divinité marine. Il se dit de ce qui est à la fois clair et brillant: la mer, la lune, ou des yeux bleu clair. Dans l'Iliade et l'Odyssée, Athéna est qualifiée comme étant Théa Glaukopis Athéné, que l'on traduit par: «Athéna, la déesse aux yeux glauques». Soit des yeux bleu clair, brillants. Très loin de notre sens actuel!
C’est à cette époque que glauque se glisse dans l’ophtalmologie. Les Grecs, tel Aristote, avaient remarqué que lors de certaines maladies oculaires, la pupille – habituellement noire – prenait une teinte grisâtre, légèrement bleutée. On attribua cette teinte grisâtre à divers troubles de la vision, que l'on regroupa sous l’appellation «glaucome», en référence à cette fameuse couleur glauque: ce gris bleuté ressemblant à la mer.
Cette coloration était en réalité provoquée par la cataracte: une affection de l’œil caractérisée par une opacification du cristallin, donnant effectivement à celui-ci une teinte grisâtre, pouvant tirer légèrement sur le bleu.
Mais si nos connaissances médicales ont évolué, glaucome est pourtant resté dans l’ophtalmologie. De nos jours, le «glaucome» désigne une maladie oculaire touchant le nerf optique: nerf qui relie l’œil au cerveau. Et il est difficile d’imaginer que cette maladie doit son nom à la couleur de la mer…
Mais l’histoire de notre adjectif ne fait que commencer. Et ce n’est que bien plus tard, lorsqu’il donnera au latin glaucus, soit «vert bleuâtre» ou «verdâtre», qu’il fera un premier pas vers notre sens actuel.
Théorie des couleurs, cercle chromatique, symbolique, etc. Arrêtez de tâtonner au hasard: apprenez à maîtriser les couleurs!
Le français
D’un vert pâle
Du latin, glauque passera au français. En ancien provençal, cet adjectif est utilisé depuis le XIIe siècle, et signifie: qui est d'un vert ou bleu pâle, presque gris, qui rappelle la couleur de l’eau de mer avant une tempête.
Et c’est au XVIe siècle que « glauque » est attesté pour la première fois; il n’a alors aucun sens péjoratif. Il se rattache alors simplement aux couleurs bleues-vertes, telles que turquoise, aigue-marine, cyan, bleu pétrole, vert d’eau ou bleu canard.
Il s'agit d'un vert «blanchâtre ou bleuâtre comme l'eau de mer». On parle alors de la mer glauque, ou de la couleur glauque des feuilles de la capucine par exemple.
Glauque [glok] — adj. • De couleur verte, tirant sur le bleu; verdâtre (code couleur: #649B88).
Suivant le cours de son évolution sinueuse, glauque fut assez naturellement associé aux eaux stagnantes et marécageuses. Et l'on tient là, selon toute vraisemblance, l'origine de son glissement de sens vers le côté obscur…
À la même période, un réajustement du terme glauque vient appuyer dans ce sens, et l’on dira par extension: se dit de ce qui est sans éclat, terne (une lumière glauque).
L'argot
D’un vert terne
C’est le début de la fin. Dans les années 1970, un journaliste décrit la lumière fluorescente, verdâtre, que l'on trouve dans les hôpitaux et les prisons comme « une lumière glauque ». Cette association, et toutes celles qui suivront ouvrent la porte au sens dérivé que le mot acquiert quelques années plus tard.
C’est finalement dans les années 1980 que le terme glauque dérive définitivement vers un sens péjoratif. Et au milieu des années 1980, le mot glauque est utilisé en argot afin de qualifier quelque chose de sinistre, d'étrange, qui inspire un sentiment désagréable, un malaise, provoqué par une ambiance lugubre ou sordide.
Il est dès lors utilisé par la jeunesse pour définir ce qui donne une impression de tristesse, de misère, et décrit une atmosphère louche: une ambiance glauque. Il se dit de ce qui est pénible, de ce qui inspire un sentiment désagréable, un malaise, provoqué par un aspect trouble. La fin d’un parcours durant lequel « glauque » aura changé de sens à de multiples reprises, et en aura vu de toutes les couleurs…
Enfant des années 80, glauque a pour moi toujours signifié quelque chose de sordide. Et en découvrant qu’il est en réalité un nom de couleur, j’ai vu mon monde basculer, et mes repères faire un virage à 180 degrés. L’impression soudaine de voir mes certitudes s’effriter. Oui, on croit savoir. On croit…
Vous êtes toujours bien assis? Car glauque n’est de loin pas le seul mot dont le sens premier a été perdu et détourné au fil de son évolution. À la même époque, un autre terme perd également son sens premier: rutilant. Attesté depuis le XVe siècle, et issu du latin rutilare, soit «briller comme de l’or», le terme rutilant signifie «qui brille d’un vif éclat»; telle une cuisine rutilante de propreté. Mais ce n’est pas tout!
Si rutilant définit effectivement quelque chose de brillant, ses synonymes sont pourtant « rouge feu », « rougeoyant ». Car si l’on parle de la rutilante carrosserie d’une Ferrari, ou sur un sujet plus sensuel, de lèvres rutilantes, c’est en réalité à son sens premier que l’on fait référence: d’un rouge vif!
…le saviez-vous?
florian
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