Bitume
Saviez-vous qu’avant de servir de revêtement pour les rues, le bitume – autrefois appelé bitume de Judée – servait de pigment, donnant des tons bruns foncés? Et qu’il permit également à Nicéphore Niépce de réaliser la première photographie de l’histoire?
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Le bitume
Le bitume
De nos jours, le bitume est omniprésent; dans chaque rue, sur chaque trottoir. Mais en réalité, le bitume est un matériau exploité depuis toujours, entre autres pour ses qualités d’adhésivité et d’étanchéité.
De l’Arche de Noé aux citernes d’Égypte, des jardins de Babylone aux navires grecs et romains, nombreuses sont les civilisations qui ont su l’utiliser. Selon l’Ancien Testament, c’est lui qui a été utilisé pour calfater l’Arche de Noé et le berceau de Moïse. À Babylone, l’étanchéité des terrasses, des palais et des jardins suspendus était assurée par du bitume. Et les Égyptiens s’en servaient pour recouvrir les voies sacrées des temples, colmater canaux, digues et citernes; ils l’utilisaient même en médecine pour ses vertus antiseptiques: les dentistes égyptiens soignaient en effet les caries avec un mélange de bitume et d’argile.
Dans l’Antiquité, le bitume était déjà une matière première de grande valeur. À la fois adhésif, imperméable et malléable, ses propriétés avaient trouvé une multitude d’applications, notamment pour l’étanchéité des embarcations, ou pour permettre les joints entre les blocs de pierre.
Une autre sorte de bitume naturel était également déjà connu à cette époque, et portait le nom grec d’«asphaltos»: l’asphalte! Longtemps considéré comme la même substance, l’asphalte est en réalité un mélange de bitume et de roche calcaire. On disait alors que le meilleur asphalte provenait de la mer Morte, qu’elle rejetait sur ses rives; ce qui lui valu d’ailleurs le nom de lac Asphaltite, soit «lac d’asphalte».
Ce n’est que bien plus tard, au début des années 1820, que l’asphalte commença à servir de revêtement pour les trottoirs et les rues de Paris et de Londres, marquant le début d’une longue histoire entre le bitume et les voies de circulation. Et son utilisation sera telle que le bitume finira par désigner à lui seul le sol des rues, comme en témoigne l’expression: «arpenter le bitume».
Bitume (de Judée) – [n.m.] • Substance de la famille du pétrole, visqueuse ou solide, dont la couleur varie du brun au noir. Utilisé entre autres comme pigment, le bitume décrit par extension une couleur brun noirâtre, en référence à sa couleur [code couleur: #4E3D28].
Inerte, imperméable et insoluble dans l’eau, le bitume constitue également un excellent isolant thermique et électrique. Raison pour laquelle c’est encore du bitume qui protège les 450’000 km de câbles sous-marins par lesquels transitent une grande partie des communications mondiales actuelles! Le bitume a ainsi toujours été un matériau de valeur. Il a permis une accélération et une amélioration constante de la mobilité et des échanges entre les hommes.
Bitume & Judée
Le bitume de Judée
Le bitume est une matière visqueuse, presque solide, de la famille du pétrole. Et tout comme ce dernier, le bitume est donc un hydrocarbure: une substance composée principalement d’hydrogène [hydro-] et de carbone [-carbure]. Il s’est constitué lui aussi de manière naturelle au fil de milliers d’années, à partir des restes de plancton et autres déchets organiques accumulés dans les couches terrestres.
« Le bitume approche du soufre; c’est tantôt un limon, tantôt une terre. Un limon, sortant d’un lac de Judée. Une terre, en Syrie, autour de la ville maritime de Sidon. Dans ces deux états, il s’épaissit et se condense. Il y a aussi un bitume liquide, témoin celui de Zacynthe et celui qu’on apporte de Babylone; ce dernier bitume est blanc. Le bitume d’Apollonie est liquide aussi. Tous portent en grec le nom de pissasphalte*, comme qui dirait mélange de poix et de bitume. »
On trouve du bitume un peu partout dans le monde, notamment aux Moyen et Proche-Orient (Mésopotamie, Inde, Égypte) où il est exploité depuis plus de quatre millénaires: de nombreux auteurs anciens tels que Pline ou Plutarque font ainsi mention du bitume et de l’asphalte dans leurs écrits. À cette époque, on disait que le meilleur bitume provenait de la mer morte, en Judée, ce qui valut au bitume l’appellation de bitume de Judée, encore couramment utilisée aujourd’hui.
De nos jours, on trouve le bitume à l’air libre sous forme de suintements, en particulier aux États-Unis, en Israël, au Mexique, au Venezuela et même en France. Il existe également des gisements souterrains, au Canada et à Madagascar.
*Origine du nom «d'asphalte»
Bitume & peinture
Le bitume & la peinture
La Vierge aux rochers
Léonard de Vinci — Italie, 1483-1486
Si le bitume est un excellent matériau de construction, il a également une tout autre utilisation, plus originale: la couleur.
En effet, le bitume – dont la couleur varie du brun au noir – a également été employé comme pigment, donnant des teintes brun très foncé. En français, un adjectif bitume a même été formé pour désigner la couleur brun noirâtre du bitume (un brun bitume).
En peinture, le bitume – souvent désigné sous le nom de bitume de Judée – est utilisé à partir du Moyen Âge, jusqu’à la Renaissance italienne. On en trouve ainsi des traces dans le tableau de Léonard de Vinci la Vierge aux rochers.
Plus tard, dans la première moitié du XIXe siècle, les peintres français vont en faire un emploi très fréquent. La texture laquée et la tonalité d'un roux très sombre intéressent des peintres, et il sert avec excès jusqu'à Gustave Courbet. Les artistes l'utilisent abondamment pour les ombres, ou pour les aplats des fonds.
Ce n’est qu’au bout de quelques années que l’on s’apercevra que le bitume dégrade parfois les peintures. En effet, le bitume appartient à la famille des hydrocarbures, et ceux-ci sont des solvants: ils dissolvent les autres substances.
Le bitume utilisé en peinture aura ainsi tendance à détériorer les tableaux, provoquant des craquelures, et son emploi détériora irrémédiablement un nombre important de tableaux de cette période.
Aujourd’hui, la grande majorité des bitumes de Judée utilisés en peinture sont des pigments artificiels, et ne contiennent plus aucune trace de bitume naturel. Ils n’ont de Judée plus que le nom.
Théorie des couleurs, cercle chromatique, symbolique, etc. Arrêtez de tâtonner au hasard: apprenez à maîtriser les couleurs!
Bitume & photographie
Le bitume & la photographie
Si le bitume s’associa à la grande histoire des voies de circulation, et participa à celle de la peinture, il n’en a pas fini pour autant de nous étonner: il lança une tout autre histoire également. Et non des moindres…
À lire aussi | Le Point de vue du Gras – Découvrez l’invention de la photographie, et comment Nicéphore Niépce réalise la première photographie de l'histoire, le «Point de vue du Gras».
En 1827, au moment où le bitume commence à être utilisé pour les voies de circulations à Paris et à Londres, un inventeur français, Joseph Nicéphore Niépce, utilise également du bitume de Judée pour ses expériences. Si toutes ne sont pas concluantes, une de ses inventions néanmoins marquera l’histoire: la photographie!
Nicéphore utilise une camera obscura – une chambre noire –, ancêtre de nos appareils photographiques. Simple boîte obscure munie d’un petit trou pour laisser passer la lumière, elle permet de projeter une image dans le fond de la boîte, à la manière d’un projecteur “naturel”.
Le «Point de vue du Gras» • Plaque d’étain de 16.7 x 20.3 cm
Joseph Nicéphore Niépce — France, 1827
Mais si Nicéphore peut ainsi voir une image projetée, il est obsédé par l’idée de pouvoir «figer» ces images. Durant des années, il expérimente alors différentes substances réagissant au soleil, afin de pouvoir «capturer» la lumière.
Après de multiples essais plus ou moins satisfaisants, il aura l’idée d’utiliser du bitume de Judée. Il en possède des stocks dans son atelier, restes d’une ancienne invention. Il dissout alors le bitume de Judée afin de le rendre liquide, et en étale une fine couche sur une petite plaque métallique qu’il place dans sa camera obscura, à l’endroit où se projette l’image: la réussite est immédiate! Dans les zones claires de l’image, le bitume recevant beaucoup de lumière, durcira; alors que dans les zones sombres, recevant moins de lumière, il restera plus mou.
Niépce n’aura plus ensuite qu’à rincer la plaque: les zones où le bitume est resté mou seront ainsi “lavées” ne restant sur la plaque que le bitume ayant durci par l’exposition au soleil, faisant ainsi apparaître une image. Niépce vient de réussir à «capturer la lumière», et d’inventer la photographie!
Et alors que le bitume commence sa longue histoire liée aux voies routières, c’est une autre longue histoire qui débute également grâce à lui: celle de la photographie!
…le saviez-vous?
florian
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